Son onde se propage comme une claque qui souffle les arbres.
On ne compte plus, déjà, les demoiselles que le cri a décoiffées et les hommes qui s'habillent de reculons, les chiens dont il a arraché la laisse.
Le cri inspire aux grandes figures statufiées des morts regrettés de la commune un relent de vie. Ils semblent être les seuls en capacité de résister avec élégance. Gardent leur chapeau sur la tête.
Le cri résonne, tendu, sec, ordonnateur en sucre. Il parait monopoliser tout l'oxygène disponible. Il est impossible pour quelque être vivant que ce soit de respirer sans laisser pénétrer dans son corps sa vibration furieuse. Les poumons s'animent intérieurement comme des enceintes dont on a démultiplié les basses.
Asservies, les couleurs mutent imperceptiblement. Le présent grille ses fusibles. Des bottes en caoutchouc trempent dans la flotte. La note se précise. Elle paraît se rapprocher encore, cherchant des pendus encore indécis pour ses cordes vocales.
Les formes sont insaisissables. Hypersensibles muqueuses irritées. À peine peuvent-elles être effleurées. Mais le cri, lui, les caresse en toute sérénité. Savamment. Sous le cri, les formes ont la peau douce. Le cri percole, suinte, savonne et s'insinue en rappel perpétuel.
Maintenant il est évident que, prenant exemple sur les formes, les femmes et les hommes cherchent tous la caresse du cri. Ils accourent, entrent en collision et rampent éperdument à la recherche de l'endroit d'où il est poussé. Lorsqu'ils comprennent qu'il vient de partout, ils cherchent partout sans rien trouver. C'est un désordre monstre. Un désordre qui ressemble à la vie dans ce qu'elle a de pire. L'urgence en pleine lumière, un gruyère de lumière avec des trous d'ombre. L'ombre des recoins où le cri ne porte pas.
Tous hurlent comme des chiens, dans l'ombre comme dans la lumière.
Tous courent. On les entend murmurer, aussi distinctement qu'un bruissement dans un ouragan.
« Le cri.
- Le cri !
- Le cri...
- Le cri.
- On m'a dit que c'était le dernier. »
(thomas p)
