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Quand Godot descend dans la rue

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Il n'y avait semble-t-il pas de mots pour les raconter... et pourtant.

 

Il y a cet homme sur le bord de la route, l'air déterminé, qui avance d'un pas décidé. Elle l'aperçoit, elle est au volant, elle reste fascinée par l'homme, sa démarche, son allure.

Il porte une tenue d'hôpital, il est pied nu, tient de la main droite son poteau, sa perf, sa cam' et de l'autre une cigarette. Le vent soulève avec impudeur sa blouse laissant apparaître son fessier. Il pourrait être ridicule, il garde une certaine noblesse dans cette échappée belle...

 

Et puis cette femme soumise au bip bip incessant des codes barres.

 

 

Ce père fâché contre une dame qui double les enfants dans une file d'attente pour un maquillage festif « C'est facile de doubler les plus petits ! » La phrase sort toute seule, elle est hors du temps, la doubleuse est atteinte de nanisme...

Dans cette même file, un enfant pose une question : « T'habites où ? », « Je sais pas, » répond l'autre. Même question, même réponse, sans fin, mêmes souffles.

Devant eux, trois femmes rouges qui semblent glisser au-dessus de l'herbe avec leur ombrelle, on les croirait tout droit sorties d'une BD fantastique, les maquilleuses, les magiciennes qui transforment les enfants en elfes, en farfadets, en félins.

 

Et cet ordinateur qui affiche, glacial la sentence « Hier n'existe pas ».

 

Et la société... l'épreuve du DNB 2015, la dictée « Ils étaient nées... ». Société qui se féminise à l'extrême, le féminin l'emporte même quand il n'est pas là ! Même quand il n'est pas las ! Justement quand il n'est pas las !

 

Et si le désordre avait un sens caché, un, des ordres cachés ?

 

Et le jour où on l'a prise pour Carole Martinez... elle est sortie de son corps, s'est soulevée, le corps, lui, est resté au sol, bien ancré, elle est Carole Martinez et le temps s'étire dans cet autre monde des possibles. Jusqu'au moment où elle entend

«  C'est une méprise, ce n'est pas l'auteur. » Retour dans son corps, mais différente.

 

Elle tisse des réseaux invisibles dont elle n'a pas clairement conscience, elle, l'arachnée qui exècre son espèce au ventre lourd et aux pattes velues, à l'aspect ingrat. Elle, l'observatrice fugueuse.

 

Et cette formatrice aux premiers secours qui explique comment sauver en cas de brûlure grave au moment même où sa grand-mère se fait incinérer. Elle a choisi sa place, elle est là où on peut encore sauver, parce que pour le reste, à quoi bon ?

 

Et ce jeune homme insignifiant dans une boulangerie qui se fait doubler. Les mêmes scènes qui se répètent, avec des acteurs différents. Celui qui a le profil d'être doublé. Être doublé jusqu'à ce que... le jeune homme se révolte et dise en ce jour du 24 décembre là, dans cette boulangerie

- Monsieur, j'étais avant vous.

- Oh, pardon, je ne vous avais pas vu.

Le « doubleur » est un vieux monsieur qui avance la tête haute.

- Mais si monsieur, vous m'avez vu.

Le vieux monsieur, choqué, bafouillant.

- Mais non, je vous assure.

Ce dernier lance un regard circulaire et essaie de communiquer son air outré, il y a comme une odeur de scandale dans la boulangerie, bondée dans une atmosphère de fête. La boulangère jette à la femme derrière qui s'amuse de la situation, un regard furtif, elle tend le pain et souhaite que les deux personnages sortent vite. C'est une véritable scène de théâtre du quotidien. Il ne peut y avoir derrière tout ça qu'un metteur en scène qui lance des matchs d'impro. Où se cache-t-il ?

 

C'est ce qu'elle aime, quand la routine est brisée par celui qui est censé subir, quand les forces s'inversent, quand la vie devient une scène théâtrale où tout est possible. Alors elle remercie Godot et accepte les yeux fermés le prochain match d'impro !

 
 
Sophie Follis
 
 
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